Les secteurs d’activités

Dès sa période préindustrielle, Sherbrooke exploite plusieurs secteurs d’activités. Durant près de 100 ans, les pâtes et papiers, le textile et la métallurgie dominent la production industrielle de l’actuel grand Sherbrooke. Entre les années 1835 et 1890, la proximité des barrages installés le long de la gorge de la rivière Magog est indispensable, et, au tournant des années 1880, les rives sont occupées au maximum de leur capacité. À un point tel qu’un certain Octave Gendron construit, en 1883, une usine au centre de la rivière!

Les activités artisanales ont une production limitée, un approvisionnement local et un financement souvent hasardeux. La mécanisation de la production, le développement d’un réseau ferroviaire ainsi que la diversification des capitaux permettront une meilleure réponse de l’offre à la demande. De la petite fabrique employant au maximum une vingtaine de personnes, Sherbrooke voit en quelques décennies l’apparition d’immenses usines employant plusieurs centaines d’ouvriers et ouvrières. Avec l’ouverture de la Paton en 1867, l’industrie du textile lance véritablement la révolution industrielle sherbrookoise.

Les pâtes et papier
Des chiffons à la pâte de bois

La fabrication du papier dans les Cantons-de-l’Est débute en 1825 à Stanstead. Le papier est alors fabriqué manuellement à partir de chiffons transformés en pâte après avoir été déchiquetés et bouillis. William Brooks ouvre, en 1849, la première manufacture de papier à Sherbrooke entièrement mécanisée. Après quelques années, l’industrie de Brooks fournit du papier à la plupart des journaux de la province. Sa production est si importante qu’elle doit faire venir ses chiffons par train! Toutefois, malgré la grande qualité du papier obtenu, la propreté parfois relative des chiffons fournis rend le procédé de moins en moins intéressant…

Angus & Logan et la Canada Paper Co.

Après la faillite de William Brooks en 1860, la British American Land Company confie la relance de l’usine à William Angus et Thomas Logan. Les associés introduisent le nouveau procédé de fabrication chimique du papier à partir de pâte de bois. Celle-ci est fabriquée à une autre usine, située à Windsor, puis transformée en papier à Sherbrooke. Devenue la Canada Paper Company, l’entreprise fabrique également de la pâte à Sherbrooke à partir des années 1870. En 1882, elle déménage toutes ses activités à Windsor. La Sherbrooke Pulp Mills prend le relais, mais ferme en 1887.

Bromptonville et la Brompton Pulp & Paper Co.

L’industrie des pâtes et papiers vacille à Sherbrooke, mais elle s’implante durablement le long de la rivière Saint-François, à Brompton Falls. Edmund Tobin, alors maire de la municipalité, fonde la Brompton Pulp & Paper Company. Entre 1901 et 1903, un barrage et une usine sont construits. Ouverte en 1903, la compagnie se spécialise dans le papier journal et est alimentée en bois grâce à la drave. La compagnie ainsi que les installations de Bromptonville et d’East Angus sont achetées en 1919 par la St. Lawrence Corporation (Domtar, aujourd’hui). Pointée du doigt lors des inondations de 1948, elle ferme ses portes en 1949.

Bromptonville et l’arrivée de Kruger

La fermeture de l’usine de pâtes et papiers de Bromptonville est une catastrophe pour le village, dont c’est la principale activité économique. Rachetés par la Ville de Sherbrooke pour un projet de centrale hydro-électrique, les terrains sont vendus dès 1950 à une compagnie de pâtes et papiers montréalaise, Kruger, qui modernise l’usine. Alors qu’elle n’employait que 150 personnes à sa fermeture en 1949, ce sont 500 personnes qui y travaillent vers 1960.

La métallurgie
De la forge artisanale à la Smith-Elkins Manufacturing Co.

Les premiers forgerons de Sherbrooke fabriquent dans leurs petits ateliers divers produits vendus surtout à des agriculteurs locaux. La production est artisanale et restreinte aux besoins immédiats. En 1835, William Arms et Alba Brown, originaires de Stanstead, installent, près du confluent, la Sherbrooke Foundry, première fabrique du genre à Sherbrooke, laquelle produit des poêles, des haches et des charrues. En 1870, les frères Smith créent la Smith-Elkins Manufacturing Company, une manufacture de machines destinées aux industries forestières, minières et papetières. Elle participe également à la fabrication de l’Enterprise qui voguera sur la rivière Saint-François à la fin des années 1870.

La Jenckes Machine Co.

C’est en 1850 que l’américain Sylvester B. Jencks fonde la Jenckes Machine Company. Au fil des années, la petite forge familiale se transforme progressivement en manufacture; bien établi, Jenckes achète, en 1887, les installations de la Smith-Elkins en faillite. En 1890, la compagnie quitte les rives de la gorge de la rivière Magog et érige un vaste complexe industriel sur la rue Lansdowne (Grandes-Fourches Sud). Pendant la Première Guerre mondiale (1914-1918), elle délaisse sa production habituelle de machineries destinées aux secteurs des mines, des pâtes et papiers ou de l’hydro-électricité et fabrique des obus.

De la Canadian Rand Drill à l’Ingersoll-Rand

En 1889, l’association d’actionnaires sherbrookois et américains donne naissance à la Canadian Rand Drill. D’abord installée sur la rue Bank, la Rand déménagera sur la rue Lansdowne pour finalement s’installer près des rues Galt et Belvédère. Devenue l’Ingersoll-Rand après sa fusion avec l’Ingersoll-Rock Drill (1912), l’usine, qui produit de la machinerie dédiée à des compagnies minières ou papetières, s’impose comme l’usine métallurgique la plus importante au Canada. Durant des décennies, elle est l’un des plus importants employeurs de la ville. Joueur marquant du paysage industriel de Sherbrooke, la Rand, dont les installations sont devenues désuètes, ferme ses portes en 1994.

Le textile
La transformation de la laine

Les premières manufactures de textile de Sherbrooke se spécialisent dans la transformation de la laine. C’est le marchand Charles Goodhue qui, en 1827, fait construire la première fabrique entièrement mécanisée. Adam Lomas reprend en 1842 ses opérations, et la production des Lomas Woollen Mills décuple avec l’arrivée du chemin de fer en 1852. Lomas achète aussi une autre manufacture fondée en 1868 par A. L. Grindrod, les Magog Woollen Mills. Tandis que la première importe sa laine, l’autre s’approvisionne chez les producteurs de la région. Ces manufactures ferment en 1907 et en 1924, respectivement.

La très brève expérience de l’industrie du coton

Fondée en 1844, la Sherbrooke Cotton Factory est la première manufacture de coton au Canada. Sherbrooke n’étant pas encore reliée au chemin de fer, l’approvisionnement en coton est ardu, tout comme l’exportation des produits finis. La manufacture ferme ses portes en 1847. Relancée un peu plus tard par un groupe d’associés, la Cotton Factory devient rapidement rentable, notamment grâce à l’arrivée du chemin de fer en 1852. Cette même année, elle est achetée par Adam Lomas, mais, détruite par le feu en 1854, elle ne sera pas reconstruite. Cette tuile sonne le glas de l’industrie du coton à Sherbrooke.

La fabrication de vêtements

Entre 1880 et 1950, les usines de vêtements offriront du travail à des milliers de Sherbrookois, surtout des femmes. Walter Blue ouvre, en 1880, le premier grand atelier mécanisé de fabrication de vêtements à Sherbrooke. Quelques années plus tard, Octave Gendron fonde la E.T. Corset Manufacturing Co. qui emploie plus de 100 ouvrières, lesquelles fabriquent jusqu’à 600 corsets quotidiennement. Après le déménagement de cette compagnie, la Royal Corset Company prend la relève de 1892 à 1897. En 1916, la fabrication de vêtements de soie débute avec l’arrivée de la compagnie Julius Kayser & Co., suivie en 1925 par la Canadian Silk Products, notamment.

La Paton, l’emblème de l’industrie textile sherbrookoise

Au milieu des années 1860, la British American Land Company approche Andrew Paton, un industriel d’origine écossaise établi depuis peu au Canada. Celui-ci s’associe avec des notables de Sherbrooke et de Montréal pour fonder la Paton Manufacturing Company. Inaugurée le 1er juillet 1867, l’usine de lainage s’impose d’emblée comme un joueur important et embauche 150 personnes dès son ouverture. Rapidement, l’usine triple sa production; en 1892, l’usine de lainage est la plus importante au Canada et embauche 750 personnes. Proposant des tissus robustes, la Paton obtient de fructueux contrats de la part de l’armée canadienne durant la Deuxième Guerre mondiale.

Les autres secteurs
L’alimentation et les brasseries

Depuis la construction du premier moulin à farine en 1802, l’alimentation fait partie du paysage industriel de Sherbrooke. D’abord utilisés pour la production locale, certains moulins vont moudre du blé venu d’Ontario et éventuellement de l’Ouest canadien. Un consortium anglo-allemand implante aussi en 1874 une conserverie de viande à Sherbrooke, la Canadian Meat & Produce Co. En 1911, c’est la compagnie Sherbrooke Pure Milk, une laiterie, qui est créée. Les brasseries connaissent aussi un âge d’or. La Silver Spring Brewery, fondée en 1896, expédie jusqu’à 370 000 litres de bières par année, partout au Québec et dans les Maritimes.

Les scieries et l’industrie du bois

La transformation du bois est l’une des premières activités économiques à Sherbrooke, le matériau étant indispensable à la construction des premiers bâtiments. Des années 1830 jusque vers 1900, la British American Land Co. opère une scierie qui exporte une partie de sa production vers les États-Unis et les Antilles. De petits ateliers de fabrication de meubles se transforment aussi en manufactures mécanisées, notamment celle de G. G. Bryant & Co. Des allumettes et des cure-dents sont aussi fabriqués entre 1855 et 1875.

Le tabac

Ce sont les frères Fortier qui introduisent la production de produits du tabac à Sherbrooke, en 1876. Les employés – surtout des enfants – roulent à la main les feuilles de tabac en cigares. En 1885, la Queen Cigar Factory ouvre ses portes au coin des rues Meadow et Webster : la majorité des 25 travailleurs sont alors des garçons âgés de 10 à 15 ans. En 1899, c’est la Sherbrooke Cigar Co. qui ouvre une usine au coin des rues Ball et Gillepsie.

La Page-Sangster Printing Company

En 1903, Edwin J. Page achète un petit atelier d’impression, comme il en existe plusieurs autres à Sherbrooke. Son entreprise occupe, en 1906, tout le second étage du Record Building sur la rue Wellington, et de nouvelles machines lui permettent de produire des livres en grandes quantités. En 1908, Page s’associe à James R. Sangster, et la compagnie devient éventuellement la Page-Sangster Printing Co. En 1912, les deux associés font construire un bâtiment sur la rue Albert. Reprise par James Sangster et son fils Frederick à la mort d’Edwin Page, la compagnie est vendue en 1974.

Le caoutchouc

Une première usine fabriquant divers produits en caoutchouc s’installe à Sherbrooke en 1913 : la Panther Rubber Co. fabrique alors des balles, semelles, talons, etc. Elle s’installe sur la rue Bank, près de la rivière et du barrage no 4 à une époque où les industries quittent les rives de la Magog pour se rapprocher des chemins de fer. Au début des années 1950, la compagnie American-Biltrite avale la Panther Rubber; elle agrandit et met à jour, entre 1952 et 1963, les installations de la rue Bank. L’American-Biltrite est actuellement la seule usine encore en fonction au centre-ville de Sherbrooke.