Les mouvements migratoires

La fin de la Révolution américaine (1783) et des guerres napoléoniennes (1815) aura des répercussions sur les mouvements migratoires en Amérique du Nord. La création du Haut et du Bas-Canada par l’Acte constitutionnel de 1791 est le résultat de l’afflux d’immigrants loyalistes qui quittent les nouveaux États-Unis pour demeurer en colonie britannique. L’ouverture officielle des Cantons-de-l’Est à la colonisation vise notamment l’accueil de ces sujets. Si les Américains constituent la première vague d’immigration dans les Cantons-de-l’Est, les ressortissants du Royaume-Uni seront plus nombreux dès le milieu des années 1810. Bon nombre d’officiers de l’armée britannique recevront des terres dans les Townships en échange de leurs bons et loyaux services. Irlandais et Écossais quitteront leur pays d’origine pour s’installer en Amérique afin de fuir les famines et la précarité de la paix. Quelques milliers d’entre eux s’établiront dans les Cantons-de-l’Est, soit pour cultiver la terre, ou pour travailler sur divers chantiers et usines.

Cela dit, au début du 19e siècle, le développement de Sherbrooke et de la région est très lent. La création d’une compagnie des terres détenant une certaine forme de monopole apparaît à plusieurs comme une solution à ce problème. La British American Land Co. (BALCo) est créée en 1832, et s’installe à Sherbrooke en 1834. Elle procède notamment à l’achat massif de terres dans les Cantons-de-l’Est. Son mandat comprend la gestion des rives de la gorge de la rivière Magog, mais aussi la stimulation du développement économique et industriel ainsi que l’immigration (britannique) dans la région. Cette immigration apportera de la main-d’œuvre pour les usines naissantes.

C’est à partir du milieu des années 1850 que davantage de Canadiens français quitteront les anciennes seigneuries de la vallée du Saint-Laurent pour venir, entre autres, s’installer à Sherbrooke et ainsi grossir les rangs de la main-d’œuvre peu spécialisée. En à peine vingt ans, la population francophone de Sherbrooke passera d’un peu plus de 15 % à 51 % de la population totale. Son poids sur les plans économique, politique et culturel mettra par contre encore quelques décennies à correspondre à son poids démographique. En 1911, les Sherbrookois francophones représentent 65 % de la population et sont en bonne posture pour gérer les domaines importants.

Au fil des décennies, Sherbrooke demeure une terre d’accueil pour un bon nombre d’immigrants originaires, entre autres, du Liban, de l’Italie, de la Syrie, de l’Afghanistan, de Serbie, du Vietnam, du Boutan ou encore de l’Irak. Ces arrivées, plus ou moins nombreuses selon les contextes socio-politiques depuis plus d’un siècle, ne sont pas liées à la période industrielle sherbrookoise, mais teintent le développement et l’évolution de Sherbrooke encore aujourd’hui.

Les colons américains
Les loyalistes et l’ouverture des Cantons-de-l’Est à la colonisation

Les États-Unis gagnent leur indépendance en 1783, et plusieurs habitants, nommés loyalistes parce qu’ils se disent toujours fidèles à la couronne britannique, quittent le pays et viennent s’installer dans les colonies situées au nord. Dès 1780, ils s’installent le long du lac Ontario, et les premiers à s’intéresser aux Cantons-de-l’Est y arrivent dès 1785. L’Acte constitutionnel de 1791 crée les colonies du Haut et du Bas-Canada; deux ans plus tard, les Eastern Townships sont officiellement ouverts à la colonisation. Déjà arpentées depuis quelques années, les terres de la région, divisées en townships, ou cantons, seront concédées à des groupes de loyalistes qui en feront la demande.

L’arrivée de Gilbert Hyatt au canton d’Ascot

En 1792, Gilbert Hyatt, un loyaliste originaire du Vermont, rassemble quelque 200 associés, lesquels envoient aux autorités une pétition afin d’obtenir le canton (township) d’Ascot. Sans attendre la réponse, ils s’installent tout de même au sud du canton, près de la limite avec le canton d’Hatley, en 1793, et commencent à le défricher. Ils en obtiennent la pleine propriété en 1803. Entre temps, Jonathan Ball, un associé de Hyatt, achète aussi des terres sur la rive nord de la rivière Magog, près du confluent, dans le canton d’Orford. Les moulins que lui et Hyatt construisent sur les deux rives en 1802 marquent la naissance de ce qui deviendra Sherbrooke.

Gilbert Hyatt, fondateur de Sherbrooke
L’immigration américaine

En tout, ce sont 15 000 Américains qui s’installent entre 1785 et 1815 dans l’ensemble des Cantons-de-l’Est, surtout autour de la baie Missisquoi et dans les environs de Stanstead. Fermiers, artisans, marchands, plusieurs sont des immigrants britanniques de fraîche date qui décident de quitter les États-Unis, tandis que d’autres sont issus de familles qui y habitent depuis plusieurs générations. En raison de la proximité de la frontière, Sherbrooke et la région continuent d’accueillir beaucoup d’Américains tout au long du 19e siècle, tandis que d’autres retournent dans leur pays d’origine, ou encore décident de s’établir ailleurs au Canada.

Une immigration britannique
Les causes

La fin des guerres napoléoniennes en Europe en 1815 libère un grand nombre de marins et de soldats en Grande-Bretagne, alors que le pays connaît une série de crises économiques. Beaucoup quittent le pays et viennent s’installer dans les colonies d’Amérique du Nord. Le gouvernement britannique offre d’ailleurs des terres à ses soldats et officiers, et pendant quelques années paie pour la traversée et des provisions. L’idée est de limiter le développement des États-Unis, après la guerre de 1812-1815, en plus de peupler suffisamment les colonies afin qu’elles produisent des céréales et du bois, et qu’elles importent de Grande-Bretagne des produits manufacturés.

William Bowan Felton

L’ancien officier de la marine britannique William Bowman Felton s’installe dans les Cantons-de-l’Est avec ses frères et beaux-frères et une soixantaine de vétérans. De manière parfois douteuse, Felton et ses enfants se constituent de véritables domaines de milliers d’acres. L’officier achète aussi des moulins et des terrains des deux côtés de la gorge de la rivière Magog; il fera don de certains à des églises et diverses institutions. Devenu commissaire des terres de la couronne au Bas-Canada, Felton cherche à favoriser l’arrivée de colons dans la région en y construisant des routes. Il serait également derrière le changement du nom de Hyatt’s Mills pour Sherbrooke et aurait manœuvré pour en faire le chef-lieu du district judiciaire de Saint-François, en 1823.

Le rôle de la British American Land Company

Pour attirer des colons, la BALCo ouvre des routes, défriche des terres et construit ponts, manufactures, maisons… Elle fait aussi beaucoup de publicité dans les îles Britanniques, où elle compte un grand nombre d’agents de recrutement. On vante notamment la pureté de l’air et les grands espaces. De 1840 à 1880, la BALCo jouera un rôle marquant pour le développement industriel de Sherbrooke et de la région, lequel est essentiel pour attirer les investisseurs et les immigrants. William Richard Heneker est une figure marquante de la compagnie : il en a été le commissaire de 1856 à 1900. Heneker participe également à la fondation de la Eastern Township Bank et à la vie politique municipale.

Ces Irlandais venus de loin
L’immigration irlandaise vers le Canada

Vers le milieu du 19e siècle, un parasite qui s’attaque aux pommes de terre fait son apparition en Irlande. Il ruine les récoltes plusieurs années de suite et déclenche une grande famine qui durera de 1845 à 1852 (beaucoup d’Irlandais dépendent alors de la pomme de terre pour se nourrir). N’ayant aucun autre choix, plusieurs dizaines de milliers de personnes émigrent en Amérique du Nord, souvent dans les cales de navires conçus pour le transport du bois, et quelques milliers s’installent au Bas-Canada, surtout à Montréal et à Québec.

Les Irlandais à Sherbrooke

Alors que l’immigration anglaise et écossaise se raréfie à partir de 1837, les Irlandais sont de plus en plus nombreux à s’installer à Sherbrooke, où ils servent surtout de main-d’œuvre pour les premières manufactures, ou encore dans les fermes des environs. Beaucoup de femmes originaires d’Irlande travaillent également comme domestiques pour des médecins, des avocats ou des juges de Sherbrooke. La vaste majorité des ouvriers qui travaillent à la construction du chemin de fer entre 1849 et 1852 — soit 1500 sur 1800 — sont des immigrants irlandais.

Une domestique d’origine irlandaise
Un travailleur du chemin de fer
En route vers… les États?
L’émigration canadienne-française

Vers 1840, les anciennes seigneuries de la vallée du Saint-Laurent sont surpeuplées, et les terres cultivables toutes occupées. S’amorce alors un vaste mouvement migratoire qui pousse beaucoup de Canadiens français à quitter la campagne pour s’établir et travailler dans les villes. Entre 1840 et 1880, 200 000 d’entre eux quittent également le pays pour les villes industrielles du nord-est des États-Unis. Certains reviennent après quelques années, mais beaucoup y restent de façon permanente. Le phénomène s’amplifie lorsque les premières voies ferrées qui relient Montréal aux États-Unis — en passant par les Cantons-de-l’Est — sont construites.

Les Canadiens français à Sherbrooke

En 1844, les Canadiens français comptent pour environ 17 % de la population sherbrookoise. Toutefois, à partir de 1852, la proportion de francophones augmente rapidement; en 20 ans à peine, ils constituent plus de la moitié de la population de la ville. Comme les Irlandais, les Canadiens français trouvent souvent du travail comme journalier, ouvrier et domestique. Certaines familles restent de manière très durable, mais d’autres quittent Sherbrooke après une certaine période de temps pour trouver du travail dans d’autres villes de la province, ou aux États-Unis.

La colonisation canadienne-française dans les Cantons-de-l’Est

Voyant d’un mauvais œil le départ d’un grand nombre de leurs compatriotes vers les villes industrielles des États-Unis, et le travail en usine de manière générale, les élites canadiennes-françaises se lancent dans plusieurs projets de colonisation visant à installer des Canadiens français sur de nouvelles terres pour qu’ils puissent y vivre de l’agriculture. Plusieurs sociétés de colonisation sont ainsi créées à partir des années 1860; elles réussissent à implanter un certain nombre de cultivateurs dans les Cantons-de-l’Est et les Bois-Francs. Les notables et le clergé canadiens-français de Sherbrooke sont alors très actifs dans la promotion de la colonisation de la région.